#ITW - Ioio : “chanter, c’est comme manger du chocolat”

Comme 1 + 1 font 2, Ioio est une chanteuse, une artiste. Auteure, compositrice, interprète et productrice de son projet, elle permet pourtant à son œuvre d’aller plus loin que la musique en elle-même. Léger mais recherché, construit mais accessible, son univers est celui d’une rêveuse qui entend lâcher prise en chantant le monde et ce qui le transcende. Après deux singles très prometteurs, elle sortira dans les prochains mois un premier EP intitulé “Inflorescence”. En attendant ce petit événement, elle a répondu aux questions de The Melting POP, un bon moyen d’apprendre à la connaître et de voyager avec elle aux confins de ce que la création à de plus impalpable, l’évasion.

Ioio


Bonjour Ioio peux-tu nous dire qui tu es et que signifie ce pseudo mystérieux ? 


Bonjour ! Le nom “Ioio” que je lui ai donné vient de la mythologie : Io était une nymphe qui a été abusée par Zeus. Comme il est arrivé à beaucoup de femmes et déesses, Héra s’est vengée sur elle de cette trahison, et l’a transformée en vache. Zeus coureur de jupons et Héra jalouse et méchante, jusque-là, rien de nouveau sous le soleil de l’Olympe. Ce que j’aime dans l’histoire de Io, c’est la suite, car ça ne s’arrête pas là : on raconte qu’elle a traversé la mer, toujours sous forme de vache. Elle a finalement réussi à retrouver forme humaine arrivée en Egypte, où on l’a parfois confondue avec la déesse Isis. Ce qui me plaît dans cette histoire, c’est qu’elle parle de résilience, de renouveau, du fait que tout n’est jamais fini. Se référer à Io est pour moi une manière d’honorer une lignée de puissance féminine créatrice, la capacité à se réincarner et à se retrouver soi-même. J’ai eu envie de faire sonner tout cela en écho “Ioio”. J’aimais bien le côté très musical de ce nom inventé, comme une interjection, un petit cri tout en voyelles.

Ta formation artistique s'est faite dans le jazz et le chant lyrique. On est à mille lieues de ça lorsqu'on écoute ta musique. Pourquoi ?

Quand j’étais petite fille, mon rêve c’était de devenir chanteuse. Je chantais les chansons de mes popstars préférées avec mes copines dans mon salon, et dans la cour de l’école devant un banc en fer vert où à chaque récré nous organisions des concerts. Faire du chant comme une activité extra-scolaire, c’était une évidence, et j’ai beaucoup appris en cours particulier en chantant du Fauré, du Purcell ou du Mozart. Ce que j’ai surtout retenu, c’est que le chant peut être agréable physiquement. Chanter de l’opéra, c’est comme manger du chocolat, ça met en joie car c’est tout le corps qui est en branle, qui devient lui-même instrument. Quand je faisais vibrer les cordes du piano avec ma seule voix, j’avais l’impression d’être une magicienne, de parler le langage secret des vibrations sonores. Le jazz, ça m’a permis de faire d’autant plus confiance à mon intuition, à prendre confiance pour improviser, à intégrer “corporellement” un tempo. Je pense que la musique que je compose et produit aujourd’hui se base sur l’héritage d’un travail sur la voix et sur les mélodies chantées. La musicalité de mes morceaux doit d’ailleurs beaucoup à la mélodie vocale. C’est la voix qui vient réchauffer les sons mécaniques et robotiques des machines. Je pense que c’est le jazz et le lyrique qui m’empêche de basculer complètement dans l’électro, même si mon amour un peu “geek” pour les synthétiseurs est bien sûr très présent dans mes titres.

En parlant de ta musique, elle ne ressemble à aucune autre. Le style est assez hybride entre la POP, l'électro et l'indie. Où puises-tu ton inspiration ?

J’aime bien puiser dans différents styles pour créer du lien et faire émerger de la nouveauté de ce qui semble commun de prime abord. Ce côté hybride est assez fondamental, car je crois qu’on est tous fait d’un bric-à-brac émotionnel complètement personnel. Chaque morceau est pour moi une tentative d’arranger tout ça en un geste unique et nécessaire. Je trouve beaucoup d’inspiration dans des artistes aux propositions fortes et “hors cadre”, comme Bjork qui a une manière tellement personnelle et exaltante de se rapporter à la musique, avec un langage et une structure au-delà du solfège ou des cadres mélodiques traditionnels. J’écoute aussi beaucoup Alice Phoebe Lou, dont les mélodies et arrangements sont très sensibles et intimes, dans toute la complexité d’une conscience et des sentiments. Réussir à exprimer une palette contradictoire d’émotions par la musique, car c’est ce qui nous rend tous profondément humain, je trouve cela très inspirant. C’est ce que je ressens en écoutant “Sonate Pacifique” de l’Impératrice. Ce morceau est en même temps triste et joyeux, et la densité émotive indicible qui en ressort me touche beaucoup.

Tu as pour l'instant sorti deux singles "Nuit" et "Fusée". L'un en français, l'autre en anglais. Pourquoi cette dualité ?

Je ne réfléchis pas vraiment à la langue que je vais utiliser quand je commence à écrire un texte. J’ai l’impression que de façon assez naturelle, mon cerveau sélectionne un langage qui a le plus de mots ou d’expressions qui conviennent à ce que je veux dire. Je parle anglais et espagnol couramment. J’ai fait une partie de mes études en anglais et ai beaucoup travaillé dans cette langue. De plus, j’ai passé deux ans au Mexique où j’ai pu intégrer l’espagnol à mon quotidien. C’est une très grande chance, j’ai l’impression que je peux voir le monde avec différentes paires de lunettes qui éclairent chacune à leur façon. Toutefois, le français en tant que langue maternelle a un attrait particulier, je m’y sens plus en confort pour écrire, mais c’est aussi se mettre plus en danger. Tous les mots sont connotés d’une manière plus complexe et liée à mon histoire singulière.

L'évasion semble être le thème commun de ces deux morceaux. Tu confirmes ? 

D’une certaine façon, oui, les deux morceaux parlent d’évasion. Ils parlent de l’accession à un “lieu”, à un “état” qui est hors de la réalité quotidienne, dans un mouvement qui “va au-delà”. “Fusée”, pour moi, c’était le morceau de l’enfance, du jeu. Ça parle de ce moment en tant qu’enfant où tout semble possible. On est libre de rêver à devenir tout ce qu’on veut quand on sera grand(es) : pompier, astronaute, chanteuse. Les paroles disent “all the lives I can have that would make me travel all around”. C’est un étourdissement heureux devant tout ce désir d’enfant : “waouh, tout ce que je peux faire !”. Cet émerveillement, il faut selon moi continuer à le cultiver toute sa vie, s’autoriser à rêver, à vouloir, à désirer, même si ça fait peur. Pour ce qui est de “Nuit”, ça raconte aussi une certaine sortie de soi par le rêve, mais c’est d’un point de vue qui est plus adulte, moins naïf. C’est un moment de prise de recul, où l’on se dit “mais bien sûr, je vois les choses clairement maintenant, car j’arrive à me voir moi-même !”. Dans le clip, il y a un peu de ça : cette impression de courir derrière une silhouette qui s’efface constamment, et quand on arrive enfin à la rattraper, c’est nous-même qu’on rencontre. En résumé, on pourrait dire que les deux titres enjoignent à s’évader pour mieux retourner à soi...


Un EP pointera le bout de son nez d'ici peu. Tu peux déjà nous en parler ?

Oui, je suis super heureuse de sortir l’EP au premier trimestre 2021 ! C’est un EP de 7 titres qui s’intitule “Inflorescence”, dont “Nuit” et “Fusée” font partie. J'ai écrit, composé, produit et interprété tous les titres, en m'entourant ensuite d'une équipe technique pour le mixage et mastering, ainsi que pour la production et réalisation des clips. Ces chansons forment un itinéraire, elles suivent ma propre recherche symbolique vers la révélation de mon envie de créer de la musique. Cela m’avait toujours semblé impossible et impensable. J’ai fait une prépa Lettres, avant d’intégrer une école de commerce. J’avais l’impression que faire des études exigeantes, avoir de grands diplômes, était “ce qu’il fallait faire” - et pourtant, je me suis souvent sentie en décalage par rapport à des choix qui manquaient de sens pour moi. Mon échange universitaire au Mexique a été comme révélateur. J'ai tellement aimé cette nouvelle liberté que je me suis remise à faire de la musique, à écrire des textes, juste comme ça. Loin de ma zone de confort, j’ai retrouvé une forme d’inspiration, sans pression. J'ai décidé de rester un an de plus au Mexique une fois diplômée pour creuser cette voie, et j'ai appris à composer et produire en solo en utilisant des machines grâce à de superbes rencontres mexicaines. Ça a été un acte très fort pour moi, ça me faisait très peur de m’autoriser à faire ce que j’aime, de prendre le risque de ne pas avoir un contrat stable en sortant de l'école comme la plupart de mes camarades. D’ailleurs, la première chanson de l’EP, “Eve” parle littéralement de piquer un fard, de “rougir” de honte devant les autres. Cependant, les paroles disent “Eve likes to blush”; “oui, j’aime rougir !”. Ces chansons, c’était ma manière de me dire “mais enfin, vas-y ! tu as peur de quoi ?”. Rentrée en France, ça a été passionnant de voir les chansons sortir de mon ordinateur pour prendre leur forme définitive grâce au travail incroyable de réalisation et mixage de Samy Gérard de Studio Simone Rec, et au mastering d’Emilie Daelemans. J’ai eu la chance de travailler avec Léia Vandooren qui m’a aidé à créer visuellement le personnage de Ioio, elle a révélé de merveilleuses facettes du projet dont je n’avais pas idée. Travailler avec Antoine de Bujadoux et Donatienne Berthereau à la réalisation des clips a aussi été extrêmement précieux pour donner corps à la musique. Toutes ces personnes talentueuses ont contribué à transcender mes propres idées et à faire voyager les titres plus loin que je n’aurais pu les amener seule. Le plus beau cadeau, c’est de pouvoir en faire un objet polyphonique qui reflète des intimités, des regards et des sensibilités diverses.

Tu n'as pas peur d'être rangée dans une case avec un univers aussi singulier que le tien ? 

Ma liberté de création et mon indépendance sont en effet des éléments très importants pour moi. Je ne pense pas que je serai capable de créer sur commande et de devoir coller à un style particulier, à une case dans laquelle on m’aurait rangée malgré moi. Cela semble toutefois compliqué d’échapper complètement aux cases. La démarche de promouvoir sa propre musique me semble parfois complètement contradictoire, car il s’agit de transformer un acte artistique unique en un produit qui peut être consommé, et donc qui va forcément être comparé à d’autres produits, pour rentrer dans le cadre d’une démarche commerciale. Il s’agit de trouver un équilibre entre garder sa liberté et permettre à ses projets d’être compris, leur donner une forme que d’autres vont pouvoir s’approprier. Jusqu’à maintenant, j’ai fait le choix de produire moi-même mes projets et de travailler à côté pour être libre de considérations financières pour ce qui était de la création musicale. Il va sans dire que vivre entièrement de la musique serait l’idéal, et signer avec un label ou une major serait une très grande opportunité. Je pense qu’il faudra voir au cas par cas, selon la liberté que chaque collaboration me permettrait de garder. En attendant, je prends mon temps et j’essaye de faire le moins de concessions possible pour ce qui est de la création.

Dernière question mais non des moindres. Que peut-on te souhaiter pour 2021 ? 

En 2021, j’espère pouvoir jouer, jouer, jouer ! L’année 2020 a été une véritable épreuve au niveau du lien social. J’ai l’impression que tout mon entourage est complètement usé et fatigué en cette fin d’année. Mes deux singles sont sortis en fin d’année 2020 sans que je puisse les accompagner en personne, et ça a été une grande frustration. Je nous souhaite à tous de pouvoir se retrouver, de pouvoir célébrer ensemble, en musique, en festival et dans les salles de concerts. Pour 2021, je nous souhaite de renaître tous de nos difficultés ET qu’affluent l’énergie, la liberté, l’inspiration et la joie ! 

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