#ITW: Erica Buettner : “il y a un rapport entre la volonté de créer et la volonté de survivre”


Révélée en 2011 avec l’album “True Love And Water”, l’américaine Erica Buettner est une survivante. Terrassée par un terrible cancer du sein quelques années après avoir publié son premier album, elle a longtemps pensé qu’elle ne pourrait plus jamais assouvir sa passion pour la musique. Pourtant, à force de combats, elle a réussi à se remettre sur pied et c’est avec un deuxième album intitulé “The Book Of Waves” qu’elle est revenue en 2018. Véritable voyage à travers le temps, l’opus est celui d’une passionnée, celui d’une rêveuse, celui d’une conteuse d’aventures qui met en musique les émotions et les images d’une vie. Pour The Melting POP, Erica Buettner a accepté de se confier. Sa musique, les épreuves difficiles, son retour, c’est sans pudeur, avec humour et émotion qu’elle se livre à nous dans un entretien exclusif.

Erica Buettner "The Book Of Waves" (2018)
Erica Buettner "The Book Of Waves" (2018)

Bonjour Erica, avant de commencer cette interview, peux-tu nous raconter ton parcours musical ? 

J’ai commencé la guitare à l’âge de 16 ans avec ma meilleure amie qui voulait également apprendre. Son frère aîné nous a enseigné, c'est lui qui m’a appris le « travis-picking » et quelques chansons de folk américain. Dès que j'ai appris quelques accords, j’ai composé mes premiers vers. À cette époque-là, j'étais très inspirée par des singer-songwriters tels que Elliott Smith, Aimee Mann, et Joni Mitchell. À travers leurs chansons, j'apprenais de nouveaux accords et de nouveaux styles de compositions. C’était tout de suite évident que la chanson serait une grande partie de ma vie. L’autre jour, j’étais en famille en conduisant dans la ville du Connecticut où j’ai grandi. En regardant par la fenêtre, on a vu quelques lieux où j’ai joué quand j’étais teenager (SIC). Même si j’étais un peu timide, j’ai toujours été attirée par la scène. À Paris, j’ai rencontré des gens très encourageants comme Pierre Faa et j’ai continué mon parcours en enregistrant mes premières chansons et puis deux albums entiers avec lui. J’ai aussi joué dans un groupe avec Dana Boulé qui s’appelle The Resident Cards, et on a fait un album ensemble que j’aime énormément. Il y a deux ans, quand j'ai appris que j'avais un cancer du sein d'un genre très agressif, j’ai dû renoncer à la guitare parce que c’était trop difficile au niveau physique… et peut-être au niveau émotionnel aussi, car ça me rappelait ma vie d’avant et tout ce que je risquais de perdre. Maintenant que je reviens à la musique, c’est encore un défi. Mais c’est beau aussi de reprendre ce que j’aime. Je me sens plus sage, plus expérimentée, et plus à l’aise sur scène car je n’ai plus les mêmes anxiétés. 

Tu viens de sortir ton nouvel album "The Book of Waves", il arrive après une période difficile. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?

C’était un projet… je dirais trop ambitieux. Ça m’a presque tuée. (Je rigole, j’ai un sens de l'humour assez noir.) J’ai composé les chansons de l’album pendant plusieurs années quand je vivais au Portugal et je pensais les enregistrer là-bas, mais la créativité de Pierre et l’esprit de Paris me manquaient. Finalement, je me suis arrangée pour pouvoir revenir à Paris pendant deux étés, et on a enregistré les bases de l’album dans son home-studio. J'aime bien enregistrer pendant l'été car j'ai l'impression que ma voix a un petit quelque chose en plus dans cette saison. Ensuite, j’en ai profité pour rendre visite aux amis et c’est la raison pour laquelle plusieurs invités figurent sur l’album. Parmi eux, la belle violoncelliste Helena Espvall qui vit à Lisbonne, Frankie Chavez, guitariste de Lisbonne également et quelques vieux amis, ainsi que des nouvelles connaissances parisiennes comme Jean Gillet (batterie, basse), Vincent Mougel (basse), Lo Brifo (basse) et Paul Abirached (guitare électrique). J'adore l'idée que cet album soit comme un travelogue, plein de mélodies jouées par des amis de plusieurs pays. 

Erica Buettner in New-York (2018)
Erica Buettner in New-York (2018)

On rapproche souvent ton univers à de la folk 70's, c'est une période qui t'inspire quand tu composes ? 

Je réfléchis assez souvent à cette question. Dans plusieurs sens, je me sens éloignée de ma génération. De plus, je trouve la musique folk des années 60s et 70s émouvante et substantielle. J’aime aussi l’expérimentation de ces époques vers le folk-rock et la psychédélique. Pourtant, ma source d’inspiration est très ancrée dans le présent, dans ma vie intime et dans la société. C’est le climat politique turbulent d’aujourd’hui qu’on peut entendre dans des chansons comme “Real Boys” et “Spiraling”, ainsi que dans “Sea Green Eyes”, qui discute l'idée des problèmes qu’on ressent mais qu’on ne peut pas accepter. On voyage dans l’œil de la tempête, en espérant que l’orage tout autour ne va pas nous toucher, tout en sachant qu’un jour ce ne sera plus possible.



Tes textes sont souvent très imagés et prêtent au voyage, à l'évasion. On ressent presque une âme d'écrivain dans ton travail, d'où te vient cette inspiration ? 

Quand je suis arrivée à Paris, c’est la communauté littéraire anglophone qui m’a donné le sens d’un chez moi artistique. Je jouais mes chansons dans des soirées plutôt dédiées à la poésie, et j’aimais ça parce que les publics étaient très attentifs. Je pense que ce qui m’intéresse dans la chanson, c’est ce jeu entre la musique et les paroles. Il y a une logique… à l’université j’ai fait des études de Lettres, et quand je suis revenue vivre à New York, je suis devenue prof d’anglais pour payer le loyer. Apprendre le français, c’était une nouvelle façon d’interagir avec le sens des mots, une ouverture vers des nouvelles expressions linguistiques qui me fascinait. Je lis beaucoup aussi – plutôt les trilogies sci-fi, un genre pour lequel je suis un peu trop enthousiaste! Pendant le traitement, quand je n'avais pas la force de pratiquer la guitare, j’ai écrit quelques contes. Bref, j’aimerais imaginer qu’un jour je partagerai mon travail d’écrivain sans musique, on verra quand je serais prête. 

Tu es tombée amoureuse de Paris après avoir sorti ton premier album, tu parles très bien le français, tu as déjà pensé à chanter dans notre langue ? 

Oui, chaque fois que je suis avec Pierre, j’enregistre une nouvelle reprise d’une chanson en français. Des titres pas forcément très connus, mais qui ont des racines folk, une écriture poétique… On pense les réunir sur un EP, un jour. Pour l’instant, je ne compose pas en français parce que c’est toujours un effort de traduction - surtout maintenant que je vis à New York, où j'ai peu l’occasion de parler la langue. Je suis beaucoup plus à l’aise dans ma langue maternelle, mais il y a toujours des occasions de faire des belles reprises.

On pourra te retrouver sur scène avec ce nouvel album ? Un retour en France ? 

Si tout va bien avec ma santé - je croise les doigts - je peux revenir cet été. L’idée serait de faire une petite tournée européenne. J’ai très envie de jouer des dates en France et au Portugal. Ça fait trop longtemps ! Mon mari est portugais. On s’est rencontrés à la Radio Universidade de Coimbra quand j’ai voyagé au Portugal pour la première fois en 2009, pour des concerts. J’ai écrit la chanson “Train to Porto” pour lui et pour le Portugal, un endroit qui continue à me captiver. Puis mon album est sorti en Corée cette année et va bientôt sortir en Chine. Ce serait génial d’avoir l’occasion de partager ma musique là-bas également. 



Ce projet sonne un peu comme une résurrection pour toi. Que peut-on te souhaiter de plus humainement et artistiquement parlant ? 

Cette situation dans laquelle je me trouve, avoir survécu à une maladie assez agressive, est compliquée. Je n’ai pas toujours l’énergie de faire tout ce que je veux, et même si maintenant je suis en bonne santé, je vis chaque jour à la fois en espérant que cela ne va pas changer… Mais peu à peu je me sens mieux, et je retrouve ma vie d’auteur-compositeur. Je joue quelques dates à Brooklyn et j’ai fait une séance radio à WFMU qui sera diffusée bientôt. Et c'est avec beaucoup d'émotion que je recommence à composer, finalement, après une phase d'abandon. Je souhaite enregistrer bientôt un EP assez intime, minimal et vite fait. Je viens d’apprendre qu’il y a un rapport entre la volonté de créer et la volonté de survivre. Alors, il faut continuer… 

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