#ITW : Biche de Ville : “Je n’ai pas envie de choisir, car choisir, c’est renoncer”

Il y a dans la musique, les artistes ayant des choses à dire. À raconter. Biche de Ville fait partie de ceux-ci. Ayant sorti son premier album “Kevin” l’été dernier, il défend à travers son œuvre, une esthétique explosive et pleine de second degré où les messages ne sont jamais fortuits. Écrire tout haut ce que les autres vivent tout bas. Écrire les maux de ceux qui n’osent pas. Voici sa mission. Derrière cet engagement, il y a pourtant de la folie, du lâcher-prise, ce petit truc en plus que seuls les Belges peuvent incarner de la plus belle des manières, l’auto-dérision. Hors-format, hors des cases, Biche de Ville est le genre d'artistes avec qui on rêve de refaire le monde, le genre d’artiste qui utilise la voix, non pas pour montrer la voie, mais pour élever les voix, les voies. La sienne, celle des autres mais aussi celle d’un monde qui doit encore aujourd’hui, aller de l’avant et faire évoluer les mentalités. Biche de Ville existe parce qu’il y a l’espoir que ce monde puisse exister. Le projet existe aussi parce que ça fait du bien d’écouter de la musique engagée sans forcément sombrer dans le pathos ou le larmoyant. Biche de Ville existe parce qu’une pluralité d’individus existe et que chacun d’entre eux, vous, moi, et ceux qui vous entourent, le font de la plus belle des manières par vous, et par vos différences. Aujourd’hui, on interroge donc Biche de Ville sur The Melting POP pour mettre en lumière sa musique mais aussi pour faire entendre ses messages empreints d’humanité. 

Biche de Ville


Salut Biche de Ville, tu as récemment déclaré dans une interview : “Je ne suis ni slameur, ni chanteur, ni musicien”. Du coup, qui es-tu et comment te définis-tu en tant qu'artiste ?
 
(Rires) ! Je ne suis ni l’autre, ni l'autre. J’ai créé mon propre rôle, je suis poète-punk. Pour être honnête, je n’ai jamais trouvé ma place dans le rap ou dans le slam. Par contre, j’ai toujours aimé écrire et j’écris tout haut ce que les autres vivent tout bas. J’essaye aussi de le chanter, mais ça ne fait pas de moi un chanteur. Et puis punk, parce que je n’ai pas attendu de savoir faire pour faire. J’ai tout appris en autodidacte avec instinct et pratique. 

C’est comme ça qu’est né ta devise “être ce qu’on a envie d’être” ? 
Oui, c’est un peu ça. Je crois qu’Orelsan a dit un truc du genre: “tu as juste besoin d’un truc qui filme pour faire un film”. C’est pareil pour faire du son. Tu as juste besoin de matos pour le son et d’un BIC pour écrire. Arrêtons d'essayer de plaire et lançons-nous pour faire ce qu’on a vraiment envie de faire.  

Tu parles de ta propre expérience dans ta musique et du défends des sujets forts. Tu te considères comme un artiste engagé ? 

Ah mais totalement (Rires)! Ne pas faire sens, ça n’a aucun sens. En tant qu’artiste, on a une voix qui peut être plus ou moins entendue en fonction de notre audience. Le principal, c’est de porter un message et de se servir de la lumière qui est mise sur nous défendre les autres.


Comment t'es-tu rendu compte que tu pouvais écrire et que tu avais la force des mots en toi ? 

J’ai aimé écrire dès que j'ai su écrire. Mon rêve ultime quand j’étais enfant, c’était de retrouver mon nom dans le dictionnaire à côté de celui de Rimbaud. Je voulais déjà être poète, je voulais changer le monde avec ma plume. Puis, j’ai dû travailler et j’ai fait plein d’expériences différentes. J’ai été mannequin, j’ai travaillé dans la mode, j’ai été prof de Français, prof de philo, j’ai fait des jobs alimentaires et puis à un moment donné, j’ai fait un burn-out. C’est là que j’ai décidé de faire de la musique. C’était le rêve que je n’avais jamais osé réaliser. Plutôt que de me dire, tu n’as rien à perdre, je me suis dit, j’ai tout à gagner. Depuis 3 ans, je vis donc ce rêve. Je sacrifie beaucoup de choses, notamment l’équilibre financier que je partage avec mon partenaire vie mais je vis avec mon cœur, avec mon âme, pour ma mission de vie. 

Tu as déclaré qu’on t'avait fermé beaucoup de portes à tes débuts. Aujourd’hui, tu as l’impression de prendre ta revanche notamment avec ce premier album financé par le crowdfunding ? 

Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être entendue en tant qu’artiste queer. Depuis mon coming-out, j’ai toute une communauté qui m’a ouvert les bras et je les en remercie. Cependant, la scène plus mainstream n’est pas encore très ouverte à ce que je propose. Pourtant, ce que j’essaie de défendre devrait être porté à toutes les oreilles.


Aujourd’hui, tu te présentes comme un artiste non-binaire qu’aurais-tu à répondre à ceux qui reprochent aux personnes non-binaires de s’enfermer dans une case en voulant éviter les cases ? 

Personnellement, je suis une personne transgenre non-binaire. Transgenre, ça veut dire que je ne suis pas accord avec le genre qui m’a été assigné à la naissance. Non-binaire, parce que je ne me reconnais ni dans le masculin, ni dans le féminin. Parfois, je suis les deux et parfois totalement ailleurs. Pour moi, c’est la société qui essaye de nous mettre dans des cases pour tenter de comprendre ce qu’elle ne comprend pas. Les médias, la pub, la culture-pop veulent créer une case. On ne nous montre que des personnes non-binaires très androgynes, glamourisées mais il n’y a pas que ça ! C’est ce que je veux montrer. Être non-binaire, c’est faire sauter les cases, pas les créer. Autant au niveau de la sexualité que du genre, il est temps d'abattre les murs. Un homme devrait avoir le droit d’être un homme tout en portant une barbe et des talons. Une femme peut ne pas être féminine. On peut ne pas se sentir à l’aise dans le genre qui nous a été donné et quand même s’habiller et se sentir bien, se sentir soi, dans l’esthétique de ce genre. Tout ça peut paraître assez abstrait mais rien n’est jamais noir ou blanc. Sur les réseaux sociaux, c’est pouce en l’air ou pouce en bas mais la vie n’est pas faite comme ça. C’est la nuance qui fait la diversité et on devrait aller explorer en dehors des cases qui nous ont été imposées. 

Comment fait-on pour passer d’une reprise de Dalida à des sons urbains ? 

(Rires) ! Même moi, je me suis posé la question en faisant l’album. En fait, je crois que j’aime faire du chaos mon ordre. Pour ce qui est de Dalida, c’est une grande histoire d’amour, pareil pour la musique des années 80/90. J’ai toujours été fan des playlists, bien avant le streaming. Déjà enfant, je gravais mes titres préférés sur K7 et j’adorais passer du tout au tout. Je n’ai pas envie de choisir, car choisir, c’est renoncer. J’aime l'inattendu, la surprise et c’est peut-être ça qui fait de l’album ce qu’il est aujourd’hui. 


À l’écoute de ton premier album “Kevin”, on se dit que la liberté prime sur tout. Tu es parfois brut de décoffrage, tu oses tout, du dis tout. Tu es subtil sans toujours l’être. C’était un besoin cette liberté ? 

Exactement ! Avec cet album, je me suis fait plaisir et j’ai fait plaisir aux autres. Encore une fois, je n’ai pas voulu choisir. C’est pour ça qu’il y a 20 titres. Sur cet opus, je n’avais pas de contraintes de label et ça m’a permis de raconter mon histoire sans retenue. Quand j’écris, les mots dégueulent de mes doigts, c’est très instinctif. Pour certains, mes textes vont paraître crus, mais pour moi, c’est ma normalité. Je ne me pose pas beaucoup de questions, enfin ça, c’est seulement pour la création (Rires) !

Face à la pluralité de ton opus, comment tenterais-tu de convaincre quelqu’un de se pencher sur ta musique ? 

Comme je le disais plus tôt, j’écris tout haut ce que les autres vivent tout bas. Cet album parle de moi mais c’est aussi pour parler aux autres. Selon moi, il ne faut pas attendre d’être touché par la crise écologique pour s’y attarder. De même, pas besoin d’être une personne transgenre pour se poser des questions sur soi, pour avoir des difficultés à s’assumer. Les choses se recoupent face au vécu de chacun et je pense qu’il peut faire écho à pas mal de moments de vie, ceux d’hier ou ceux que tu vivras peut-être demain. 

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