Intelligence Artificielle : prochain fléau ou nouvelle révolution de la musique ?
Dans un article paru le 12 avril dernier sur le site du magazine américain Billboard, il est révélé qu’Universal Music a envoyé un mail aux différentes plateformes de streaming. L’objectif : demander à Spotify, Deezer et Co, de protéger les droits musicaux de l’évolution des intelligences artificielles. Se servant des contenus mis à disposition des auditeurs pour améliorer leurs performances, les intelligences artificielles sont accusées de s'entraîner à créer des œuvres inédites. En plus de ne pas respecter les droits d’auteur, ces “œuvres artificielles” pourraient à l’avenir, mettre à mal la création artistique. Encore relativement confidentielle, la demande d’Universal Music pourrait prendre de l’ampleur dans les semaines et les mois à venir. Pour cause, et dans un tout autre registre que celui de la musique, des centaines d’experts ont récemment réclamé une pause dans la recherche sur les Intelligences Artificielles. Selon les experts, l’humain serait en train de perdre le contrôle de sa propre technologie. “Perte de contrôle” : lorsque l’on met ces mots en lien avec l’histoire de l’industrie de la musique, on se rappelle le téléchargement illégal puis, l’avènement du streaming. Une nouvelle fois dans son histoire, l’industrie de la musique fait donc face à une nouveauté qu’elle ne semble pas pouvoir gérer. Les intelligences artificielles : prochain fléau ou révolution de la musique ? On en parle maintenant sur The Melting POP.
Digital et streaming : un lent bouleversement
Lutter et s’élever contre un changement, une révolution, l’industrie de la musique l’a déjà fait plusieurs fois dans son histoire. Comme l’explique le journaliste Sophian Fanen dans son ouvrage “Le Boulevard du Stream” paru en 2017, le plus grand combat de l’industrie a certainement eu lieu dans les années 2000. À l’époque, après des années à s’en mettre plein les poches avec le marché physique, l’industrie mondiale voit son économie s'effondrer face à l’avènement du digital et, par conséquent, du téléchargement illégal. Craignant de perdre un marché qui lui rapporte gros, l’industrie refuse de voir l’évidence d’une génération qui change. Durant des années, plutôt que d’investir dans une nouvelle manière de consommer, elle fustige les consommateurs qui se détournent du bien matériel cher et encombrant pour des versions digitales gratuites, flexibles et nomades. Au mieux, pour tenter de sauver son économie, l’industrie a lancé au début des années 2000, le marché des sonneries pour téléphone. Néanmoins, quand le système s’est effondré (après avoir rapporté gros), c’est en compagnie du gouvernement et avec Hadopi en France que l’industrie a une nouvelle fois refusé de voir l’évidence : les moyens de consommer de la musique avaient évolué. Ainsi, pendant que les majors préféraient crier au loup, ce sont d’autres acteurs étrangers à l’industrie qui sont venus rétablir l’ordre et l’équilibre financier. Premièrement, Apple a développé l’Itunes Music Store, une bibliothèque digitale qui permettait d’acheter légalement et à moindre coût (entre 1,29 € et 0,99 €) les nouveaux singles de nos artistes préférés. Après des années de combat, c’est donc le téléchargement légal qui naissait. Une nouvelle fois, la méthode a rapporté très gros à tout le monde. Cependant, pendant que l’industrie se satisfaisait de cette méthode, des Français (Deezer) et des Suédois (Spotify) commençaient efficacement à penser à la suite. Cette suite, c’est le streaming tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pourtant, il a mis du temps à être accepté par les majors et s’il est aujourd’hui devenu la norme, il est important de se rappeler qu’Universal et les autres ont d’abord refusé de digitaliser leurs catalogues et leurs créations. Puis, lorsqu’ils n’ont plus eu d’autres choix que d’accepter le changement et l’évolution, c’est avec des contrats et des deals très contraignants pour les artistes que la collaboration s’est mise en place. Encore aujourd’hui, les plateformes de streaming sont accusées de ne pas rémunérer suffisamment les artistes. Cependant, ce sont les majors qui ont accepté les conditions de Spotify & Co. Si elles avaient elles-mêmes développé leur propre support plutôt que de se plaindre, le paysage musical serait certainement resté entre leurs mains.
Réseaux sociaux, sped-up version : une industrie qui s'adapte plus qu'elle n'évolue
Bien sûr, il est facile de critiquer après coup l’industrie de la musique. Après tout, les majors souhaitaient simplement protéger un système fiable et rentable. De plus, il est vrai que l’avenir et l’inconnu peuvent parfois effrayer. Néanmoins, les dernières années et les derniers changements ont prouvé que l’industrie n’avait pas totalement appris de ses erreurs. Premièrement, les majors ont longtemps été contre l’utilisation libre de la musique sur les réseaux sociaux tels que Instagram ou TikTok. Pour que les utilisateurs soient autorisés à utiliser des sons sur leurs profils, les dirigeants des différents réseaux sociaux ont été obligés de se plier à des règles strictes destinées à protéger les droits d’auteur. Il y a encore quelques années, il n’était possible d’utiliser de la musique qu’à la condition de ne partager que 10 à 15 secondes. Aujourd’hui, la norme est passée à 30 secondes et face à l’influence d’un réseau tel que TikTok, il n’est pas rare de voir des snippets de plus d’une minute être utilisables afin de maximiser l’éventuelle viralité d’un morceau. Deuxièmement, et il s’agit encore d’un changement lié à TikTok : l’apparition de plus en plus fréquente et légale des versions speed-up. Apparues illégalement sur YouTube au début des années 2010, les versions rapides des chansons ont longtemps été perçues comme des moyens détournés de la part des utilisateurs de contrer le contrôle automatique des droits d’auteur. Avec le temps et face au manque à gagner, l'industrie a forcé le blocage de ses morceaux illégaux. Près de 10 ans plus tard, TikTok débarque dans la course et face au succès de certaines versions rapides, les artistes et les labels sortent officiellement leur propre sped-up sur les plateformes de streaming. Comme l’expliquait récemment le site Konbini : l’industrie a encore plié face au changement. Lorsqu’on en revient au thème de cet article (les intelligences artificielles) ce revirement de situation pose plusieurs questions.
L'intelligence artificielle va-t-elle tuer la création ?
À date, Universal (et on imagine le reste de l’industrie) est contre les intelligences artificielles. Objectivement, il est vrai qu’entendre Michaël Jackson reprendre The Weeknd alors qu’il mort avant la création des morceaux a quelque chose d’assez flippant. De plus, cet exemple très marquant n’est pas un cas isolé puisque les intelligences artificielles permettent aujourd’hui de recréer n’importe quelle voix et de lui faire chanter n’importe quelle chanson en respectant scrupuleusement le texte et la mélodie. Kanye West qui rap sur “Anaconda” en lieu et place de Nicki Minaj, Miley Cyrus qui semble faire une cover de “Bad Romance” de Lady Gaga ou encore Lana del Rey qui reprend du Rosalia, tout est possible avec les intelligences artificielles. Outre une violation évidente des droits d’auteur, ces versions pirates générées par des robots viennent remettre en cause l’aspect créatif de la musique. Pour cause, avec l’évolution des intelligences artificielles, ce ne sont pas seulement les productions et les textes qui peuvent être inventés automatiquement mais également les voix. À partir de là, si tout peut être créé par une machine, quelle est la place de la création et de l’artiste ? La question se pose et c’est aussi pour ça qu’Universal veut protéger son industrie… Mais jusqu’à quand ?
K/DA, FN Meka : un premier pas vers un épisode inédit de Black Mirror
Pour l’heure, il n’existe pas encore de projet totalement artificiel porté et défendu par un grand label ou une major. Pourtant, à mesure que la société évolue et lorsqu’on voit que l’industrie de la musique a déjà retourné sa veste avec le streaming ou encore les versions rapides, on est en droit de se demander si un jour quelqu’un osera produire et vendre un artiste 100 % immatériel. En 2018, le girls band K-POP K/DA était vendu comme le premier groupe virtuel de l’histoire de la musique. Cependant, de vraies chanteuses et donc de vraies voix étaient derrière le projet qui a récolté près d’un milliard de streams rien que sur Spotify. Autre avancée, la signature en août 2022 du rappeur virtuel FN Meka sur le label Capitol. Accords, mélodie, paroles, l’ensemble de la création artistique du rappeur à l’exception de sa voix était générée par un ordinateur. Face à la controverse, Capitol a annulé sa signature mais les premières graines ont été semées. Pour récolter plus d’argent, pour gagner du temps, pour surfer sur la tendance ou tout simplement pour ne pas être dépassée par le système, l’industrie n’aura probablement pas d’autres choix, à un moment ou à un autre, de changer son fusil d’épaule. Un artiste 100 % digital, des pistes posthumes créées par une intelligence artificielle après la mort d’un artiste… Les limites n’attendent qu'à être franchies et lorsque cela arrivera, il ne s’agira pas d’un épisode de Black Mirror !
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