#ITW - Lefkes : “ Je ne vois pas pourquoi la pop ne peut pas être profonde “
Duo franco-allemand, Lefkes est le fruit de la rencontre artistique entre Anne-Claire Bondon et Philipp Leu. Tous deux musiciens ayant fait leurs armes dans des groupes séparés, ils ont mis en commun leurs expériences pour monter un projet POP complet et singulier. Auteurs d’un premier EP paru en décembre dernier, ils doivent aussi leurs origines à une rencontre inattendue mais déterminante. Pour en savoir plus, The Melting POP a interrogé Anne-Claire, l’un des piliers de ce tandem.
Ensemble, Anne-Claire et Philipp forment le duo Lefkes |
Anne-Claire, c'est une rencontre qui a tout fait basculer pour toi et la musique. Peux-tu nous en parler davantage ?
Lorsque j’ai croisé par hasard Fabrice Luchini à Lefkes, sur l’île de Paros, le groupe que j’avais fondé au lycée et dans lequel j’écrivais et composais depuis près de 10 ans venait de se séparer. Ça a été quelque chose d’assez traumatique et je cherchais une nouvelle énergie pour aller de l’avant. Je crois que la rencontre avec Luchini, le fait qu’il remarque en un coup d’œil que j’avais l’air d’une: “meuf qui se planque parce qu’elle a peur de la déglingue” qui vient (en théorie !) avec les aléas de la vie artistique m’a juste fait prendre conscience que j’avais tort d’avoir investi la musique à moitié depuis trop longtemps alors que c’était véritablement la chose qui me faisait vibrer. Les quelques phrases échangées sur le sujet m’ont trotté dans la tête jusqu’à mon retour à Paris, et en rentrant j’ai décidé de me lancer seule dans une nouvelle aventure musicale, d’écrire, et simplement de faire ce dont j’avais envie artistiquement.
Où en serais-tu sans cette rencontre, ce dialogue ?
Je pense que cette rencontre a simplement permis d’accélérer une prise de conscience qui couvait quelque part en moi. Et sans aucun doute, Lefkes s’appellerait autrement et la création du projet serait beaucoup moins mythique !
Avant cela, comment envisageais-tu ton parcours ?
Je ne sais pas vraiment, je n’avais pas d’idée de la suite. Tout était très flou. Je ne savais pas si j’allais refonder un groupe, inclure à nouveau des personnes avec lesquelles il faudrait prendre des décisions, chercher des musiciens pour m’accompagner tout en défendant le projet seule ou simplement arrêter de me produire publiquement et écrire pour d’autres.
En 2017, Philipp rejoint ton projet, penses-tu que cette rencontre a scellé le destin de Lefkes ?
Sans aucun doute ! Quand Philipp a proposé de rejoindre Lefkes, je faisais des scènes, seule en guitare voix avec un set très folk, mais j’avais envie de produire ces morceaux et de passer à la vitesse supérieure. J’ai une approche de la musique très spontanée et très intuitive mais pas toujours très carrée ! Philipp lui est très méticuleux, très perfectionniste. D’une part et d’autre part, il a une longue expérience à la fois scénique (avec son ancien groupe Fertig, Los !) mais également dans le domaine de la composition et de la production. Après la séparation de son groupe, Philipp a beaucoup écrit pour d’autres artistes internationaux. Je crois qu’on a tout de suite compris qu’on allait être complémentaires et l’univers de Lefkes est né de cette rencontre.
Votre univers est POP mais à la fois énigmatique. On le remarque au travers de vos titres qui sont très recherchés, originaux. Les thèmes ne sont pas communs. D'où vous vient l'inspiration ?
L’inspiration pour l’univers de Lefkes vient en grande partie de la poésie et de la littérature dont Philipp et moi sommes pétris. Je suis depuis longtemps passionnée par la poésie Dada et surréaliste et c’est cette écriture qui m’inspire le plus. Les poèmes de Desnos, Eluard, Breton et Tzara en particulier, l’univers loufoque de Michaud aussi, la prose merveilleuse d’Antonin Artaud. Je me retrouve dans ces univers par moments très sombres, à d’autres incroyablement lumineux, et j’ai du mal à retrouver cette qualité d’écriture dans ce qui se fait aujourd’hui aussi bien en poésie qu’en littérature. Il y a aussi les univers des écrivains Beats comme Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso que j’aime beaucoup, les œuvres d’Anselm Kieffer et bien d’autres qui ont longuement nourri nos intériorités. Paradoxalement – enfin paradoxalement je ne sais pas – Philipp et moi nous avons toujours adoré le rock et la musique pop ! Je me souviens d’un ami de fac qui a été extrêmement choqué quand il a appris que j’écoutais Beyoncé, Sia, Lorde et autres Madonna. Comme si la musique pop était vulgaire par définition ! Mais je ne vois pas en quoi ces univers s’opposent, je ne vois pas pourquoi la pop ne peut pas être profonde et poétique et traiter de sujets sérieux et de sentiments nobles. L’univers de Lefkes se trouve quelque part à mi-chemin entre ces différentes cultures, cette culture littéraire et poétique d’un côté et une affection profonde pour les rythmes pop, les beats, et les mélodies entêtantes.
Par exemple, que signifie "la femme approximative", titre de votre premier EP ?
“La Femme approximative” est d’une part un hommage à “L’Homme approximatif” de Tristan Tzara, un recueil de poèmes magnifiques que j’aime depuis des années. De l’autre, ce titre est l’expression d’un sentiment qui m’a longtemps habitée, celui de ne pas me retrouver dans les canons de la féminité moderne - ça ne m’a jamais pesé en vérité, mais j’ai toujours eu conscience de mon hybridité aux yeux des autres. Quand j’étais enfant, tout le monde disait que j’étais un garçon manqué, parce que j’aimais le football, que je détestais les Barbies et les robes ; mon père devait systématiquement demander un Happy Meal GI Joe (je le remercie d’ailleurs, il le faisait toujours sans honte et sans jamais rechigner !). Je ne voyais pas en quoi il y avait quelque chose de « manqué » chez moi. Je me sentais plutôt épanouie et réussie ! Mais je sentais qu’on attendait autre chose d’une petite fille, puis d’une adolescente qui préférait les Ethnies, le skate et le rock, puis d’une femme qui rêvait de tout sauf de se marier et d’être mère avant 30 ans. Cette femme approximative elle transparaît dans cet EP. Elle est aventurière, nomade, parfois carrément perdue mais elle avance, dans des directions souvent incertaines, souvent seule mais toujours avec la curiosité qui caractérise sa vie et qui l’empêche de se retrouver piégée dans un carcan, dans une définition, dans un stéréotype.
Quelles sont vos ambitions avec ce duo ?
Notre ambition est de mener Lefkes le plus loin possible. De rendre notre musique accessible à un plus grand public. Mais l’important c’est surtout de vivre quelque chose d’intense et d’unique à travers la musique, c’est une chance qui n’est pas donnée à tous et nous en avons bien conscience, de rencontrer d’autres musiciens, de partager nos chansons, et de jouer beaucoup dans des endroits divers.
Dernière question : As-tu envoyé ta musique à Fabrice Luchini depuis que le projet est lancé ?
Non ! Je ne suis pas certaine que ce soit le style de musique qu’il écoute ! Et surtout, je pense que ce qui a été pour moi une rencontre déclic grâce à quelques mots en apparence anodins, n’a été pour lui qu’une discussion superficielle avec une fan qu’il a dû oublier sitôt croisée ! Mais qui sait, j’aurais peut-être la chance de le croiser à nouveau et de lui proposer un featuring !
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