Beyoncé : pourquoi veut-elle réécrire l’histoire de la Country (la signification de l’album “Cowboy Carter”)
Lorsque Beyoncé s'apprêtait à sortir “Renaissance” à l’été 2022, on s’interrogeait sur ses ambitions. Réelle prise de risque ou déception ? D’abord, le premier single “Break My Soul” a divisé le public, mais lorsque l’album est paru quelques semaines plus tard, l’artiste a mis tout le monde d’accord avec un disque relativement osé sur lequel elle tentait de nouvelles choses. Dans un même temps, elle annonçait que “Renaissance” serait un projet en 3 actes et le deuxième est aujourd’hui sur le point de voir le jour. Intitulé “Cowboy Carter”, l’acte II sort ce vendredi 29 mars et cette fois, Beyoncé se lance à corps perdu dans la country. UItra-populaire aux Etats-Unis, ce genre musical est souvent associé à une Amérique puritaine et conservatrice. Pour certains et dans certaines de ses racines, la country est aussi un genre destiné à un public “blanc” voir raciste et Beyoncé sait qu’elle brise un mur de verre avec une telle direction artistique. On en parle sur The Melting POP.
L’histoire oubliée de la musique country
Il y a quelques jours, Beyoncé a annoncé que l’enregistrement de l’album “Cowboy Carter” avait débuté il y a de cela plusieurs années. Dans un même temps, l’un des producteurs de l’album a même déclaré que celui-ci était né avant “Renaissance”. Pourtant, “Cowboy Carter” est bien le deuxième acte de l’impulsion créative de Beyoncé et ce choix de bousculer l’ordre des choses n’est absolument pas anecdotique. De fait, si Beyoncé souhaitait célébrer avec “Renaissance”, les racines de la musique noire et la manière dont elle a permis de rassembler les communautés Queer et racisées ainsi que les femmes à travers le voguing, la house ou encore le funk, “Cowboy Carter” veut redefinir une chose : la country n’est pas un genre réservé aux blancs. Largement répandue aux Etats-Unis et dans le reste du monde, l’idée que la country serait une musique conservatrice et destinée aux blancs trouve sa source dans les années 1900. À l’époque, alors que les industries de la musique et de la publicité tendent à se développer en Amérique, les médias commencent à créer une ligne séparatrice entre les race-records (musique afro-américaine) et les hillbilly-records (musique blanche traditionnelle). Typique des régions montagneuses et reculées des Etats-Unis, le hillbilly est d’abord un genre caricatural, brut, joué avec peu de moyens par des populations peu éduquées. On retrouve dans ce genre, des chants traditionnels et une notion folklorique. Le hillbilly est donc un style à part entière, cependant lorsque les premières radios musicales vont se démocratiser et que les premiers succès vont naître, un nouveau nom va éclore, la country. Avec cette appellation, une partie de l’Amérique va vouloir faire oublier, les racines parfois peu flatteuses du Hillbilly (manque d'éducation, pauvreté, consanguinité) mais l’évolution du terme va aussi effacer une partie de la culture musicale noire puisqu’à ce moment, de nombreux accords et instruments vont être considérés comme appartenant au style Country, alors même qu’ils étaient depuis des années au cœur des propositions artistiques de l’Amérique noire et racisée. Au fil du temps, un pan entier des Etats-Unis va associer la country à l’Amérique blanche et lorsque les conservateurs, certains partis politiques et d’autres groupuscules comme le Ku Klux Klan vont enfoncer le clou en faisant de ce style musical l’emblème de leur culture, tout le monde va petit à petit oublier qu’il y avait dans la Country, des racines noires américaines qui ont été effacées pour glorifier l’Amérique blanche mais aussi, pour mieux mettre en place la ségrégation.
Cowboy Carter : une signification à double sens
Après avoir mis en avant la puissance fédératrice de la musique noire sur “Renaissance”, Beyoncé va plus loin avec “Cowboy Carter”, un disque qui sert à revaloriser la richesse de la culture musicale de ses ancêtres. De plus, il y a comme point d’ancrage de ce projet, un souvenir personnel qui a traumatisé la chanteuse. Prise en grippe par une partie de l’Amérique lorsqu’elle s’était essayé au genre country avec “Daddy Lessons” en 2016 sur “Lemonade”, Beyoncé sait que l’Amérique conservatrice n’est pas prête à l’entendre sur ce genre de sonorités. De plus, lorsqu’elle avait décidé de performer ce titre en live avec les Dixie Chicks, un groupe de country qui avait divisé l’Amérique quelques années plus tôt en osant s’élever contre la guerre en Irak et le gouvernement Bush, Beyoncé avait été taxée d’appropriation culturelle mais aussi de vouloir faire le buzz en soulevant d’anciennes polémiques. Pour la petite histoire, le groupe Dixie Chicks était très populaire auprès de l’Amérique conservatrice mais lorsque les 3 artistes ont osé se positionner contre la guerre en Irak, la majorité de leur public qui tenait pour le Gouvernement Bush leur a tourné le dos. Certains fans sont même allés jusqu’à brûler les disques qu’ils possédaient en guise de protestation contre les positions politiques du groupe. En s’affichant avec elles, Beyoncé s’élevait donc déjà à l’époque, contre ceux qui se sont approprié le genre. Avec “Cowboy Carter”, elle affirme aujourd’hui ses choix et le titre du projet n’est pas hasardeux. En effet, outre le fait que Carter soit son nom d’épouse puisqu’elle est mariée à Jay-Z (Shawn Corey Carter), ce titre fait aussi référence à la famille Carter (Carter Family), un groupe de musique américain qui est considéré comme la formation à l’origine de l’explosion de la Country blanche aux Etats-Unis. Cependant, derrière ce groupe destiné à un public blanc, il y avait aussi Lesley Riddle, un musicien noir qui a grandement contribué à nourir la musique des Carter que ce soit au niveau des textes qu’au niveau des instruments. Souvent oublié de l’histoire, Riddle est la preuve que la musique est faite d’apports et d’échanges. Avec son disque, Beyoncé veut donc réhabiliter cette histoire et c’est sans doute pour cette raison qu’elle devrait inclure dans son projet une cover / revisite de “Jolene’, l’un plus grand succès de la musique country aux USA. Née du fait qu’elle ne se soit pas senti la bienvenue (dans le genre country) après la sortie de “Daddy Lessons”, l’ère “Cowboy Carter” est donc un moyen de faire avancer les choses. Que l’on aime ou pas Beyoncé, le concept est osé et fort de sens… D’autant plus lorsque l’on sait que certaines radios countrys américaines ont catégoriquement refusé de jouer les singles “Texas Hold'Em” et “16 Carriages” ! Le chemin vers une réécriture de l’histoire musicale est encore long…
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